Tout se joue avant 6 ans, n’est ce pas ce que disait la ministre de l'Education nationale Elisabeth Borne en avril dernier ? Avant 5 ans, avant 3 ans - cette phrase nous l’entendions déjà enfant. Mais si tout le monde retient la formule c’est aussi parce qu’elle concentre un précipité du stress éducatif contemporain : la précocité comme valeur ! Le projet de se réaliser soi-même comme boussole !
Mais dépassons notre pessimisme si français et essayons de voir ce qui se joue avant 6 ans. Ce "ce", qui n’est pas "tout", mais quand même quelque chose. Le livre Premières classes met au jour les réalités et des ressentis de familles d’origines sociales variées à l’endroit d’enfants de 5 ans – il y est question, par exemple, de la manière dont les parents envisagent leurs pratiques éducatives et aussi, l’enfance elle-même, un temps vu pour lui-même ou au filtre du futur qui s’y bâtirait. Ces représentations modelant un certain rapport à l’école...
« Des enquêtes comme la nôtre permettent de penser autrement » écrit notre invitée, la sociologue Gaëlle Henri-Panabière – nous verrons également dans cette émission comment « comprendre et agir » puisque c’est le sous-titre du livre Les inégalités scolaires, que publie Sébastien Goudeau. Dès lors : que fait et que peut l’école maternelle, l’école d’avant 6 ans – comment tenir compte des inégalités entre enfants devant la demande scolaire ? Faut-il repenser les "attendus", le programme (qui vient justement de changer) dans un sens plus ou moins scolaire, nous allons y réfléchir avec Sandra Barabinot, professeure des écoles.
Louise Tourret s'entretient avec ses invités : Gaële Henri-Panabière, Maitresse de conférence en Sciences de l’éducation à l’Université Paris-Cité, elle vient de diriger avec Frédérique Giraud Premières classes : comment la reproduction sociale joue avant 6 ans (Université Paris Cité, 2025), Sandra Barabinot, Professeure des écoles en maternelle (Petite et Grande sections) aux Lilas (Académie de Créteil), créatrice du compte Instagram @laclassedemoscaia et autrice de la collection Lecture cache-cache (éditions MDI), et Sébastien Goudeau, ancien professeur des écoles, professeur des universités en psychologie sociale à l’université de Poitiers, il vient de publier avec Céline Darnon Les inégalités scolaires - Comprendre et agir (De Boeck supérieur, 2025).
Dans cette émission vous entendrez également les voix de Mouhamadou, professeur des écoles (académie de Créteil), créateur des comptes Instagram et Tik Tok @balancepourlabalance, et Fabienne Montmasson-Michel, sociologue à l’université de Poitiers, enseignante à l’Inspé et chercheuse au Gresco (Groupe de REcherches Sociologiques sur les sociétés Contemporaines), autrice de Petite histoire de la maternelle (La dispute, 2025).
Sébastien Goudeau s'est intéressé au moment de la prise de parole en classe : "Les études montrent que les élèves de milieux favorisés prennent plus spontanément la parole et vont parler plus longtemps mais on a aussi observé des biais inconscients chez les enseignants puisqu'on voit qu'à niveau de compétences égales les enseignants vont davantage interroger les enfants de milieux favorisés que ceux de milieux populaires. Il y a bien sûr des enseignants qui sont très conscients du déterminisme social mais pas forcément de parfois le favoriser dans leur propre pratique".
Sandra Barabinot sent une pression qui pèse sur les épaules des enfants et les enjoint à réussir leur maternelle : "Je pense qu'il faut au contraire valoriser l'erreur, dire aux élèves que c'est comme ça qu'on se construit. On va plutôt valoriser l'effort, le progrès".
C'est important de savoir qu'une qualité comme la curiosité n'est pas naturelle chez tous les enfants, explique Gaele Henri-Panabière : "ça déculpabilise les parents et les enfants qui ne répondent pas à ces attentes, ils comprennent que ça vient de logiques qui les dépassent. Il y a une double fonction à la fois de déculpabilisation de la sociologie et de désenchantement : l'enfant naturellement curieux c'est un idéal."
Illustration sonore
- Extrait d'un entretien avec la ministre de l'Education Elisabeth Borne sur LCP le 08/04/25